Silberen : la découverte du Karst

Dans les petits cantons, à part Obwald visité la semaine dernière, il y a Glaris. Sa population représente moins d’un tiers des habitants de Lausanne, quant au chef-lieu, Glaris, c’est avec 5’900 habitants, le plus petit de Suisse.

Pour qui aime sortir des sentiers battus, Glaris est un terrain de jeu assez extraordinaire. J’ai néanmoins décidé de pousser le jeu encore un peu plus loin en m’engageant dans la Klöntal. Créé par l’effondrement d’une montagne de la vallée il y a des milliers d’années, le lac a été exploité dès 1908 comme source d’énergie avec la construction d’un barrage de retenue à son aval. Il s’agissait à vrai dire du plus grand lac de retenue à cette époque. En hiver sa surface gelée constituait par ailleurs une réserve de glace, notamment pour la brasserie Wädenswil, qui l’utilisa jusqu’en 1953.

Aujourd’hui les hivers sont moins rudes et il est de plus en plus rare que le lac gèle suffisamment pour permettre d’y pratiquer du patin à glace. Le lieu conserve cependant un charme indéniable. Le lac tout en longueur et entouré de falaises impressionnantes n’est pas sans rappeler les fjords islandais. Installé dans le petit camping du coin, je planifie mon excursion du lendemain. Je remonterai un peu plus haut dans la vallée jusqu’au col de Pragel, qui marque la limite avec le canton de Schwytz. La route continue d’ailleurs ensuite après moult lacets dans une forêt presque vierge, jusqu’à la vallée de Muotal, la rivière qui se jette finalement dans le lac des Quatre cantons, non sans passer tout d’abord devant le fameux funiculaire de Stoos, dont je parle décidément dans presque chaque article.

Le matin cap sur Pragel donc. La route est étroite mais suffisamment large pour que passe le car postal. Fort heureusement je croise ce dernier dans un segment plutôt généreux et la manœuvre se passe sans encombre. Sur le reste du trajet quelques motos, un hélicoptère (et oui), des engins forestiers et de nombreuses vaches, mais tout se déroule dans la bonne humeur et je me réjouis de découvrir le col. Côté météo c’est heureusement meilleur que hier mais les nuages continuent d’effacer régulièrement des parties des montagnes environnantes. L’arrivée se fait cependant presque au soleil et me voici donc en route pour le sommet du Silberen. Cette montagne dont la pointe culmine quelques 1’200 mètres plus haut, doit son nom à la couleur argentée que la pierre qui la compose reflète. Le Silberen est un haut lieu géologique national, puisqu’il s’agit du plus grand plateau karstique du pays.

Le karst selon ce que j’ai compris, est une sorte de pierre résultant de l’érosion de toutes les autres roches solubles alentours. Autrement dit, et ça je le découvre dès que j’y met les premiers pieds, le karst c’est de la roche taillée comme un couteau et extrêmement dure. Le sentier est particulièrement bien balisé et le temps est heureusement frais, toutefois le slalom entre les trous parfois vertigineux creusés dans la roche et les arrêtes tranchantes force une allure raisonnable. Au loin deux tâches noires et blanches m’observent tranquillement. Les chamois doivent savoir que dans ce milieu ils ont clairement l’avantage.

Ce qui est extrêmement étonnant le long de cette randonnée c’est le silence. Non seulement il n’y a pas un seul bruit humain (le col, sans doute à cause de sa complexité, est très peu fréquenté) mais une fois les derniers arbres dépassés, dans ces cailloux acérés il n’y plus âme qui vive. Le soleil perce les nuages, une croix à l’horizon, me voici arrivé au sommet.

C’est une impression vraiment étrange que celle d’arriver sur ce plateau de pierre, parfois presque lisse, ponctué néanmoins de touffes d’herbes et avec en fond les impressionnantes alpes glaronnaises, saupoudrées de neige. Aucun sommet connu dans ma littérature néanmoins débutante, mais tout cela est tout de même magnifique.

Comme il est encore tôt, je décide de poursuivre ma route. Le sentier m’emmène alors de l’autre côté du plateau et après quelques kilomètres de lacets dans les roches, me voici de retour dans une sorte de fond de vallée herbeuse. Je repère un grand rocher et décide d’y casser la croute. L’après-midi avance et à-mesure le doute s’installe : quelle est la longueur précise de cette randonnée et la direction que j’ai prise est-elle la bonne ? Pour le premier facteur j’avoue que pour la première fois je me suis lancé dans une boucle sans étudier le parcours au préalable, misant sur le fait que les boucles de Suisse Rando sont en principe sur une journée, à moins qu’une cabane ne s’y trouve, ce qui n’était pas le cas ici. Quant au second, je suis convaincu d’avoir suivi les indications correctement, mais mon sens de l’orientation me fais douter. Le sentier semble descendre dans le fond de vallée et s’il faut remonter jusqu’à son sommet pour retrouver le col, je ferai aussi bien de faire demi-tour. Inutile de préciser qu’à ce moment précis je n’ai absolument pas de réseau mobile pour lever ces doutes.

Je reste calme toutefois. J’ai repéré au loin un bâtiment. Il n’a pas l’air habité mais en cas de besoin il pourrait constituer une halte. Par ailleurs il n’est que 14h00 et le soleil se couche encore tard à cette saison et puis j’ai une lampe frontale. Bref, tout est sous contrôle et au pire, je sais que je peux encore rebrousser chemin et revenir au van avant la nuit.

Heureusement je n’aurais nul besoin d’activer tous ces plans. Quelques kilomètres plus loin un panneau me confirme que je suis sur la bonne route. Le sentier bifurque à gauche et c’est par le flanc de la montagne que je reviens sur mes pas. Ce tracé m’offre par ailleurs l’excellente surprise d’une vue plongeante sur le lac de Klöntal et la vallée du même nom.

Sentier rocailleux le long de la paroi impressionnante, prairies peuplées de vaches adorablement poilues, groupe de cyclistes en VTT électriques, me voici près de 5h plus tard, de retour au point de départ.

Les randonnées comme celles-ci ont sur moi cette capacité incroyable à déformer le temps. Ces cinq heures m’ont paru hors du temps. Je ne saurais dire si elles me parurent longues ou courtes, tant j’ai été déconnecté (dans tous les sens d’ailleurs). Certains y parviennent par la méditation ou la prière, d’autres par l’art, moi c’est la marche qui me permet cette connexion rare, précieuse et fragile avec l’instant présent.

De retour à Glaris et après quelques emplettes dans le Volg du coin, je met le cap plus à l’Est, en direction de Saint-Gall. J’ai repéré un lac que je ne connaissais pas : le Walenstadt. A mon arrivée dans le petit camping de Murg déception cependant. Au bar la serveuse transmet les ordres de sa patronne qui ne sort pas de son bureau : le camping est complet, la réception est fermée, je suis arrivé trop tard. Je tente d’expliquer que 17h00, même en Suisse, c’est tout de même raisonnablement tôt et qu’une des dix places de parking qui se trouve devant le camping m’irais très bien, mais le cerbère invisible se montre intraitable. Me voici donc un peu désemparé dans un coin au demeurant très joli mais malheureusement fort peu équipé de camping et en revanche très bien doté en panneaux expliquant qu’il est interdit de stationner pour la nuit.

Quelques recherches plus tard, j’opte pour une descente dans le canton des Grisons et trouve le parking d’un restaurant, malheureusement fermé ce jour-là, qui accueille les camping car pour quelques francs.

Me voici donc parqué pour la nuit au pied des remontées du Pizol, sur lequel j’irais faire sans doute la plus belle randonnée de ce voyage, mais ça à ce moment je ne le sais pas et je t’en parlerai demain.

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